15 août. Triste à mourir
Il y a des dates anniversaire dont on se passerait bien. Comme celle du 15 août. Chute de Kaboul. Retour au pouvoir des taliban. Un drame de plus pour l’Afghanistan.
Une tragédie pour les femmes afghanes.
Un an déjà.
Un an pour que les femmes afghanes perdent tous leurs droits : travail, éducation, expression, accès aux soins, déplacement sans un chaperon masculin… Tchadri pour toutes. Disparition de l’espace public. Amnesty international en fait le triste constat : torture, homicides, mariages forcés, vente de petites filles. Misère. Faim. Désespoir. Suicides.
Avec des héroïnes anonymes qui continuent à se battre en prenant des risques incroyables, pour faire des cours clandestins. Pour organiser des manifestations. Ou tout simplement lutter pour survivre, pour protéger leur famille, leurs filles.
Et puis, il y a celles qui ont été ont été obligées de s’enfuir. Pour sauver leur peau. Qui attendent depuis des mois, au Pakistan ou en Iran, un visa asile. Qui ont eu au mieux, un mail automatique de l’ambassade de France. Impuissance, rage, désespoir. Leur répondre inlassablement qu’on ne peut rien faire, qu’il faut attendre. Sans avouer qu’on n’y croit plus. Trop de demandes en rade depuis trop longtemps. Se répéter inlassablement qu’il ne faut jamais abandonner l’espoir.
Et aussi celles (une poignée : journalistes, magistrates, militantes féministes, artistes…) qui ont eu la chance d’être évacuées ou qui ont réussi à se rendre en France par leurs propres moyens, qui ont obtenu l’asile et qui se débattent dans le « droit commun » (libre accès au marché du logement, libre accès au marché du travail, youpi !). Qui vivent dans l’angoisse quotidienne pour leur famille restée sur place. Comme ce couple dont l’avion a décollé sans leur gamin de quatre ans, perdu dans la cohue de l’aéroport de Kaboul, au denier moment. Comme cette maman dont les trois petites filles sont toujours en Afghanistan, pour lesquelles on ne trouve aucune solution pour les faire venir dans le cadre de la réunification familiale (un droit pourtant inscrit dans la loi) car elles se retrouvent sans tuteur légal sur place (le père a disparu, probablement mort…), qu’elles n’ont pas de passeport et aucune possibilité pour se rendre à Téhéran ou à Islamabad où l’ambassade de France pourrait éventuellement traiter leur demande.
Qui affrontent des situations de grande détresse, comme cette femme enceinte qui a perdu son bébé après son arrivée en France et qui doit s’acquitter d’une facture de près de 700 euros auprès de pompes funèbres.
Et encore celles qui arrivent en France dans le cadre de la réunification familiale, seules ou avec leurs enfants. Pour lesquelles rien n’est prévu : si le conjoint ne dispose pas d’un logement (beaucoup sont dans un centre d’hébergement ou un foyer où il est interdit de recevoir leur famille), c’est la rue. Le 115 est saturé. A Zinzolin, grâce à votre générosité, on arrive à financer deux ou trois nuitées d’hôtel, le temps de mettre en route les premières démarches administratives. Plus pour longtemps, on a explosé notre budget. De plus, les délais s’allongent, aussi bien du côté des préfectures que de l’OFII. De deux ou trois jour pour obtenir un rendez-vous ou une réponse du Samu social, on passe à plus d’une semaine, voire deux. Ou trois. Presque tous les jours, nous sommes obligés d’expliquer que là, on ne peut pas faire mieux. De lancer des appels désespérés à hébergement solidaire. Sans trop de retours…
Voilà.
Le 15 août. Je me souviens d’un temps (lointain) où bosser le 15 août était, pour les journalistes, une sorte de punition. On était à peu près sûrs qu’il ne se passerait vraiment rien, à part les carambolages sur les autoroutes. On gardait en réserve un papier sur Elwis Presley qui a eu la bonne idée de mourir le 16. Et en cas de bonne configuration – week-end + carambolages + commémoration du dixième anniversaire du décès du King –, on pouvait même s’en sortir « Un week-end à mourir » en une.
C’était il y a longtemps.
Désormais, la date est marquée par un autre anniversaire. Un anniversaire dont les femmes afghanes se seraient bien passées.
Un an, du point de vue médiatique, c’est long. Le drame ukrainien a déjà dégommé du prime-time celui des femmes afghanes. Pourtant, leur souffrance est toujours là.
C’est l’été. La quasi-totalité des permanences d’aide aux demandeurs de refuge sont fermées. Zinzolin fait l’impossible pour continuer à assurer, coûte que coûte. On a besoin de vous.
Nous sommes juste une petite association locale. Incapable d’agir au niveau international. Mais qui fait de son mieux. Non, on n’a pas encore trouvé une solution pour aider toutes les femmes afghanes. Mais on tente d’aider toutes celles dont le conjoint, un ami ou un membre de sa famille vient signaler leur situation dramatique. Sans illusions. Mais avec, toujours, l’espoir… On tente d’aider, au mieux, celles qui ont réussi à arriver en France et qui poussent la porte de Zinzolin. A la mesure de nos (faibles) moyens. Mais avec l’immense soulagement de pouvoir faire quelque chose de concret pour les femmes afghanes. Et l’immense espoir qu’on va réussir à continuer, même si, en France le sujet est passé au second plan.
On a besoin de têtes (vues certaines situations inextricables, on en est à tenter des solutions parties d’idées carrément farfelues…), de bras (ou plutôt de doigts agiles sur les claviers pour remplir des formulaires en tout genre, dématérialisation oblige, arghhh !) et, on ne va pas se raconter d’histoires, d’argent.
Les aides ponctuelles (telle la participation à des frais d’obsèques) et surtout les factures d’hôtel, ont fait exploser notre budget (qui ne repose que sur des dons). Il y a des familles qui arrivent dans les prochains jours et à qui on ne pourra même pas assurer quelques nuitées. Et il y a déjà la rentrée scolaire qui se profile (on a toujours mis un point d’honneur pour que tous les enfants démarrent leur scolarité avec le cartable et les fournitures qui vont bien).
Nous n’avons pas de recette magique pour soutenir toutes les femmes afghanes. Mais grâce à vous tous, nous avons jusqu’ici réussi à aider des dizaines d’entre-elles. C’est peu, nous en sommes bien conscients. On aimerait faire mieux, ou, au moins, continuer. Nous ne sommes pas forcément tip-top question communication (pas les compétences, pas le temps ; trop d’urgences à gérer). Donc une fois de plus, nous vous faisons confiance. Faites passer le message.
Irena Havlicek
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